Le monde bouge, s'active, s'agite et lorsqu'on fait partie de cette activité de fourmi fonçant tout droit sans regarder, on ne remarque pas à quel point ce tralala qui tend plus vers le marasme de toute une espèce que vers son apogée est inutile et fallacieux. Et puis soudain il y a les planches glissantes. Ces planches qui à elles seules sont capables de changer le destin d'une fourmi parmi tant d'autres. Ces planches du carrousel du port de Honfleur affranchies par tant de sauts et de pas d'enfants, dévastées par les pluies normandes, vraies moussons atlantiques. Ces planches aux contours parfaits et si chaleureuses qu'elles invitent l'inconnu à gambader dessus. Ces planches toutefois sournoises qui font glisser, chuter sans finesse les badauds aux os fragiles. Ces planches, elles m'ont attrapé dans la fraîcheur de ma jeunesse, dans l'insouciance de mon adolescence tardive et j'ai chuté.
La chute d'un corps. Rapide, presque silencieuse, sans cri, sans heurt. Le corps chute et c'est tout autour le monde qui bascule. On est sonné. La tête saigne-t-elle? Je ne crois pas. On entend des voix inquiètes approcher. Non, je vais bien, voudrait-on dire, mais on peut à peine le chuchoter: la voix comme mutilée, on ne peut parler. Il est impossible de se relever. Le bras droit nage curieusement dans la manche du blouson. On commence à comprendre, à réaliser, à graver en soi les premières images d'un drame lourd de conséquences. On se fait aider, on balbutie quelques mots saugrenus, on s'en veut. Finalement rien n'y change, les faits sont là. Les pompiers arrivent et le monde s'arrête: le corps lui-même est atteint et il est inconcevable de continuer sans un passage par la case hôpital.
L'hôpital, c'est la découverte de la douleur et l'expérience de la morphine, la rencontre d'une myriade d'infirmiers et infirmières, aides soignantes et médecins au service du soulagement de la douleur et de la "réparation": nous sommes des playmobiles, avec une âme et un coeur en plus. Et ces deux éléments apportent beaucoup, il faut reconnaître!
Il y a les amis, le réconfort, les visites, les appels. Il y a tout ceux qui nous entourent et nous font du bien. Les amis, c'est une sorte de morphine, lorsqu'ils nous soulagent et apportent du bonheur entre quatre murs d'un blanc stérile.
Puis il y a la sortie, le début de guérison, la peur de tomber, d'être bousculé par la foule déchaînée, effrontée par sa bonne santé. Le repli chez soi. On voit d'en haut les gens marcher, se bousculer, accélérer, doubler, parfois trébucher. On les voit aussi se tenir par la main, s'embrasser et vivre dans l'insouciance de leur jeunesse. Ah, la jeunesse! A quand le regain d'énergie? Affaire à suivre...
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