Le matin, nous nous levons tôt, aux alentours de 7h30. Petit-déjeuner. Le gardien de nuit mais aussi aide de l’hôtel, Pablo, avec qui nous aurons l’occasion de discuter le soir, est toujours là.
Nous commençons par la Merced, dans la rue remontant depuis la plaza de Armas en direction de San Francisco. Nous découvrons un cloître magnifique, havre de paix, dont la cour est parée d’un magnifique jardin avec des fleurs blanches et rouges – nous demandons plus tard au jardinier qui n’est en fait pas le jardinier le nom des fleurs rouges, jamais vues auparavant : « son niuchtus »… des niuchtus… l’orthographe reste incertaine et à vérifier !
Dans une des salles du cloître, nous découvrons un ostensoir de 1m30 de haut, serti de magnifiques pierres précieuses et d’or. A son pied, une perle est sculptée en forme de sirène. Il s’agit de la seconde perle la plus grande du monde !... Un sacré joyau !
Nous quittons la Merced enchantés par les couleurs et la nature étonnante. Nous nous rendons à la Compañia de Jesus, une église sur la Plaza de Armas : nous visitons la sacristie, découvrons de nombreux retables dorés, un maître-autel, une vue magnifique sur la Plaza de Armas.
Nous continuons notre sentier religieux jusqu’à la cathédrale, perchée au-dessus de la place d’Armes. Le temps est magnifique. Il fait très chaud. Ce qui nous rappelle que nous sommes à plus de 3300m d’altitude, c’est ce besoin d’inspirer fortement, d’arrêter quelques secondes de parler afin de se consacrer uniquement à la respiration, à la réoxygénation de nos muscles et de notre cerveau.
La cathédrale est construite sur les ruines d’un ancien palais inca. Les Espagnols ont détruit les palais de l’Empire et érigé à la place des lieux du culte catholique, toujours dans la logique de christianisation des autochtones. La catedral est un complexe de 3 enceintes : nous commençons par la visite de l’iglesia de la sagrada familia. Puis nous entrons dans le complexo central de la catedral, partie la plus impressionnante. La pierre volcanique est rosée. De l’entrée principale, on ne voit pas le maître-autel d’argent. Il est caché par le chœur, qui occupe le centre de la cathédrale, dont les fauteuils sont sculptés dans du cèdre – pas du cèdre bleu de Patagonie comme sur l’île de Chiloé !
La troisième partie est le templo del triunfo. A la fin de la visite, nous retournons voir dans la partie centrale des tableaux de l’école baroque cuzquénienne, dont l’un met en scène la cène, remplaçant le pain que coupe le Christ par un cuy, sorte de cobaye ou cochon d’Inde que mangent les Cuzquéniens les jours de fête !
Faisons un arrêt sur le cuy (prononcer « couille »). Nous avons été fascinés par ce petit animal qui finit malheureusement rôti écartelé dans les assiettes, parfois pour la somme de S/60 (moins de 20€). Toujours dans une approche positive de la culture andine, nous avons discuté dès notre arrivée avec le chauffeur de taxi qui nous transportait à notre hôtel.
- Y donde se puede comer un buen cuy cerca de aqui ?
- Aqui (on est alors dans la rue montant vers San Blas) en este lugar hay buen cuy, nous indique le taximan.
- En Europa, de donde venimos, no se come el cuy, porque es un animal domestico, como el perro o el gato, lui expliquai-je alors.
Sa réponse fut d’autant plus surprenante :
- Si, si, aqui tambien es un animal domestico... !
En sortant de la cathédrale, nous avons faim !... Envie de cuy ? Non, pas tout à fait. Depuis le début du voyage, nous n’avons pas mangé – ou presque pas mangé – de crudités. Nous rêvons de feuilles de salade, de tomates, etc, fortement déconseillées ici pour des raisons d’hygiène. A l’angle de la Plaza Nazarenas, nous découvrons un café très sympa, Mama Oli, dont l’origine a un lien avec la France. Nous nous y installons et découvrons d’excellents jugos de frutas – les meilleurs du voyage – ainsi que des salades agréablement assaisonnées. C’est le paradis. Les dames du café sont très sympas, et lorsque nous demandons ce qu’est la musique, elles répondent : es Jerry Rivera… une chanson au rythme entraînant « que locura enamorarme de ti ». A ce moment je me suis dit : « salsa entrou na minha vida ». La salsa était entrée dans ma vie.
Après le déjeuner, les papilles toujours en alerte nous allons visiter l’hôtel Monasterio et ses cinq étoiles, construit dans un ancien couvent. Nous sommes en admiration devant l’arbre plusieurs fois centenaire dans la cour principale.
Nous nous aventurons dans les hauteurs de Cuzco, sur San Cristobal, nous reposons quelques instants avec vue sur tout Cuzco, une cour d’école où des enfants sont en train de faire du sport – à moins qu’ils ne s’entraînent pour une manifestation traditionnelle ? Nous les voyons effectuer une sorte de chorégraphie, des pas synchronisés.
Peu avant 17h, nous redescendons en direction de la Merced – elle ouvre à 17h pour l’office. Nous ne la visitons que sommairement. Nous ne voulons pas déranger le bon déroulement de la messe. Fatigués de la journée, nous rentrons à l’hôtel « para descanzar »… Il fait bientôt nuit : le soleil se couche très tôt au Pérou, en particulier à Cuzco.
A 18h30, parés de nos habits patagoniens contre le froid, nous nous rendons à la gare routière afin d’acheter des tickets de bus pour Puno – le lac Titicaca. Quelle effervescence là-bas !... Un Européen ne peut sans doute pas imaginer ce qu’est une gare routière péruvienne – peut-être sud-américaine ? – sans qu’on le lui ait expliqué. Cela ressemble à un jour de marché, lorsque les commerçants veulent crier plus fort que leur voisin pour vendre des tomates. Dans le bâtiment, les compagnies de bus ont leur stand et les vendeurs hèlent les potentiels voyageurs pour qu’ils achètent un billet. Certains vont même jusqu’à mentir – une dame nous a assuré que les mineurs bloquent les routes en journée et qu’il vaut donc mieux prendre le bus de nuit. Curieusement elle ne vendait que le trajet de nuit ! Nous écoutons ce qu’ils ont à nous dire. Enfin, une dame de Perúbus nous propose le trajet à S/25 au lieu de S/35 le premier prix. Nous acceptons et faisons une bonne affaire !... Le lendemain, des Français dans le bus nous avouèrent avoir payé S/47 le trajet, pour le même traitement !
Après cette expérience revigorante, nous allons manger dans un café lounge juste au-dessus de la Plaza San Blas. La vue de nuit sur Cuzco est magique. Nous pouvons l’admirer de là-haut. Les centaines de points lumineux dans la nuit me rappellent l’arrivée sur Sarajevo. Un Pisco Sour dans le sang, nous rentrons heureux des découvertes de la journée à l’hôtel.
Avant de dormir, nous nous posons pour boire un maté de coca dans le patio. Le gardien de nuit, Pablo, nous aborde alors. Ce passage mérite d’être raconté, car c’est sans doute ce soir-là que j’ai pris conscience au plus profond de mon être des différences entre pays riches et pays moins développés. Les niveaux de vie sont monstrueusement différents. Un voyage de 1000 dollars vers l’Europe est inabordable pour lui. Il paye 100 dollars de loyer pour 50m2 dans Cuzco et gagne 350 dollars en tout. Il est gardien de nuit de l’hôtel et travaille en journée – les après-midis – comme éducateur dans une école de la ville. Il nous a demandé le prix d’un appartement à Paris : 2000 dollars au moins pour 50m2. La discussion devient presque obscène. Il est impossible de comparer Cuzco à Paris, le niveau de vie en France à celui du Pérou, le pourquoi je suis né en France au pourquoi il est né au Pérou. Que puis-je y faire en tant qu’individu ? A cet instant précis, un fort sentiment de culpabilité mêlé à un sentiment de honte s’empare de mon esprit. Ainsi nous vivons grassement en Europe sans le moindre dévouement de la personne pour l’autre qui galère au Pérou.
Je suis resté peut-être une heure sur mon lit les yeux grands ouverts à réfléchir, à me dire qu’en étant témoin de ces différences de niveau de vie je me devais de faire quelque chose. Si je ne fais rien, ne suis-je pas complice des sociétés vivant dans l’opulence et dont les acteurs ne pensent qu’à leur bien-être personnel ? Affaire à suivre…
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