Thursday, December 10, 2009

La fleur de Chantilly

Le titre fait penser à ces fleurs miraculées qui poussent dans les fentes des trottoirs des grandes villes. Chacun se souvient avoir été dans un Paris lors d'une belle journée de fin juin. L'air est léger, appelle à l'excès et à la démesure. Les rues sont encore humides de la fine pluie à l'aube, à moins que ce ne soit la rosée. On déambule le teint coquet et frais. L'air blafard du postier est resté dans le placard: il fait beau, les passants sourient, sifflent et chantonnent les valses aux amants réunis! Le soleil apparaît puis se cache derrière les feuilles des platanes sereins du boulevard. Aux abords du Dumas, on sent l'escalope de veau sauce aux morilles. Midi approche et c'est sacré: chaque minute, chaque seconde construit cette machine de guerre française et si fameuse: l'appétit.
L'appétit aux qualificatifs si variés: il sait être vorace quant il peut être de moineau. Ce jour-là, sur le boulevard M..., c'est un appétit noble et manifeste qui se dégage des mines réjouies de bon nombre de passants. Les premiers s'assoient déjà aux terrasses, regardent d'un air bienveillant les piétons, eux-mêmes en extase devant le flair parisien. On commande, on s'empresse d'interroger son estomac ou peut-être ses papilles? Vous prendrez bien du vin, demande gentiment le garçon un tantinet narquois. Avec plaisir, mais lequel? Le grand cru de Bourgogne s'accorde divinement bien à l'escalope. Il est corsé, sa robe est joliment violacée. Parfait! Bourgogne sur boulevard, ce pourrait être le début d'un vaudeville à la sauce parisienne.
L'appétit est bientôt remplacé par le bien-être infini. A l'aide d'un bout de pain, on essuie chaque coin de l'assiette pourtant ronde. La moutarde à l'ancienne s'est mélangée à la sauce aux morilles. C'est l'ultime instant de l'hédoniste. Plus rien ne compte si ce n'est toi, ma chère assiette, et moi, dans mon individualité la plus intime. Ne dit-on pas du Français qu'il est égoïste et sectaire? Dans un moment pareil, très certainement!
C'est suite à cette relation intense que vient la plénitude post-stomacale. En clair: on peut enfin penser à autre chose qu'à son estomac. Cette autre chose s'acompagne très volontiers d'un café. Les premiers avalent un espresso avant de se mêler fervents au tumulte citadin. Les autres moins affairés, minaudent devant un cappuccino. Et là, c'est avec stupéfaction qu'ils remarquent dans leur tasse cette fleur miraculée, se détachant d'un amalgame crémeux. Nous y voilà donc: la fleur de Chantilly était née.

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